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Editorial Enfances et PSY numéro 91 :

Réforme du financement de la psychiatrie.

La psychiatrie passe à l’Euro !


Et la pédopsychiatrie aussi ! La réforme était étudiée depuis 2012, annoncée avant la crise Covid pour 2021 mais reportée. Depuis le premier janvier 2022, et selon le décret du 29/9/21, le mode de financement de la psychiatrie a changé. Sans être complotiste, selon l’expression à la mode, on peut s’étonner d’une publication le lendemain des assises de la santé mentale et de la psychiatrie, après des annonces d’investissement.

Cette réforme, par ses mécanismes, devraient rééquilibrer les enveloppes régionales dédiées au financement de la psychiatrie. Les régions les mieux dotées devraient voir leur progression annuelle ralentir au bénéfice des régions aux financements les plus faibles.

Une page se tourne. Jusque-là, les services de psychiatrie bénéficiaient d’une dotation annuelle de financement (DAF) qui leur permettait d’une année sur l’autre de compter sur une enveloppe de financement identique, augmentée d’année en année d’un pourcentage fixé par les tutelles. L’augmentation des budgets était très modeste, depuis 10 ans deux fois moins que les dépenses moyenne de santé, fixées chaque année selon l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM). La progression des recettes a toujours été inférieure à l’augmentation des couts liés aux charges d’une part, et à l’augmentation mécanique des salaires liés à l’ancienneté, pourtant modeste dans la fonction publique hospitalière.

Cette insuffisance d’augmentation des recettes face aux couts, a fait disparaitre les postes vacants, par exemple d’orthophonistes, les services n’ayant plus de marge budgétaire pour recruter d’éventuels candidats.

Désormais, prenant en marche le train de la tarification à l’activité (T2A) en vigueur depuis dans le champ somatique en médecine, chirurgie et obstétrique, le budget alloué sera pour partie lié à l’activité. Pour partie, car 80 % correspondra à une part dite « Populationnelle » corrélée à des variables sociodémographiques. Sur les 20 % restants, 15 % seront attribués selon l’importance de la file active, et le restant se répartira selon la pratique d’activités dites spécifiques, le niveau de qualité des soins, la pratique d’activités de recherche, de nouvelles activités, la mise en œuvre de transformations, et la qualité du codage PMSI.

Quels seront les effets sur les budgets de chaque service ? Ils sont pour l’instant mal connus. Les avis sont divergents. Les hôpitaux ont fait des simulations, et les perdants se mobilisent. Les gagnants pensent pouvoir investir leurs nouvelles ressources au financement de nouvelles unités ou à des recrutements supplémentaires de personnel.

Cette réforme sera-t-elle égalitaire ? La dotation dite « populationnelle » sera calculée selon cinq critères régionaux : le nombre d’habitants, la densité de psychiatres libéraux et hospitaliers, la précarité, le taux de patients isolés et le nombre de places dans le secteur médico-social. Ces critères seront révisés tous les 5 ans. Pour protéger la pédopsychiatrie, à laquelle on a reconnu l’importance de l’abord pluridisciplinaire et la nécessité de plus grandes ressources humaines, une majoration corrélée au pourcentage régional de mineurs sera effectuée.

Mais dans une même région, les départements les plus pauvres où le nombre de mineurs est souvent plus important et les libéraux moins nombreux pondéreront-ils à leurs dépens les excès des départements les plus riches ? Il est question d’une déclinaison infra régionale qui sera arbitrée par les ARS, aidées d’un comité consultatif régional réunissant des représentant des fédérations et des usagers. On devine les enjeux auxquels ils seront confrontés, si ce n’est les pressions auxquelles ils devront résister !

La part variable de l’activité aura-t-elle des effets sur les pratiques ?

L’activité ambulatoire par exemple sera financée par des forfaits variables selon le nombre d’actes par patient, mais selon des tarifs dégressifs. Il sera deux fois plus intéressant (la variable n’étant alors pas clinique mais financière !) de recevoir 100 enfants une ou deux fois, qu’un enfant 100 fois. La maladie mentale est pourtant connue pour sa chronicité, et les troubles développementaux qui nécessitent des prises en charge pluridisciplinaires prolongées sont fréquents, aujourd’hui plus qu’hier. Cette évolution est observée cliniquement quotidiennement ; elle a été rapportée dans le rapport qu’a consacré l’IGAS aux CMP, CAMSP et CMPP ( Igas, 2018). Ces effets risque d’entrainer un rabot des prises en charge au long cours et feront préférer les thérapies brèves aux traitements de fond, les rencontres diagnostiques sans lendemain aux suivis intensifs et prolongés.

Le prix de journée moyen baisse considérablement lorsqu’un adolescent devient majeur. Que deviendront les jeunes le lendemain de leurs 18 ans, alors qu’on connait les difficultés d’insertion de cette tranche d’âge et le manque de places en médico-social ?

Tout porte à croire que cette réforme apportera de grands changements. La pilule risque d’être amère, et le remède plus douloureux que le mal causé par les difficultés et les inégalités actuelles de financement.

Les syndicats et les fédérations ont demandé une augmentation budgétaire générale de 5% pour rattraper les retards connus et dénoncés par tous, même par le gouvernement. Ils n’ont pas été entendus[1].

Pour calmer les esprits, un moratoire est accordé jusqu’en 2025. Les montants de financement de chaque Centre Hospitalier seront préservés jusque-là, les budgets annuels ne pouvant être inférieurs aux budgets de l’année précédente. Certains se verront perdants et tenteront de modifier leurs prises en charge en se délestant des soins les moins rentables.

La pédopsychiatrie, déjà très en difficulté saura-t-elle préserver des soins de qualité dans le cadre d’une telle réforme ? A l’heure où les services ne parviennent plus à recruter de pédopsychiatres, et où la santé mentale des enfants et des adolescents est fragilisée, avait-elle besoin d’un tel changement de financement ? N’est-ce pas jouer avec le feu ?


Jean-Pierre BENOIT, pédopsychiatre, rédacteur en chef adjoint d'Enfances et PSY

[1] https://cme-psy.fr/lettre-a-jean-castex-12-mai-2021/

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