Editorial Enfances et PSY numéro 92: À (h)auteur d’enfants
Le 20 novembre 2021 Gautier Arnaud-Melchiorre remettait à Adrien Taquet, le Secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles auprès du Ministre des Solidarités et de la Santé1 , un rapport intitulé À (h)auteur d’enfants. Enfances & PSY a demandé à l’auteur de ce rapport qui tente de donner la parole aux enfants de le présenter.
Le 26 mars 2021, Monsieur le Ministre me confiait jusqu’au 30 septembre 2021 une mission tendant à recueillir la parole des enfants protégés par l’Aide sociale à l’enfance sur l’ensemble du territoire. Au cours des six mois de mission plus de 1 500 enfants protégés de l’âge de 1 mois à 18 ans ont été rencontrés ainsi que des jeunes majeurs jusqu’à l’âge de 21 ans, majoritairement dans leurs lieux d’accueil : pouponnières, LVA, établissements, familles d’accueil, centres maternels, et un service de pédiatrie, milieu ouvert, dispositifs d’insertion des jeunes majeurs, mais aucun tiers digne de confiance. De nombreux professionnels ont été rencontrés, des responsables institutionnels, des professionnels et des experts. Par ailleurs, des enfants et des jeunes majeurs ont été rencontrés au ministère. Un rapport qui s’appuie sur la parole des enfants protégés aujourd’hui Le rapport est composé de deux tomes et d’une Charte des droits des enfants protégés. – Le Tome I, s’appuie sur les propos échangés au cours des différentes rencontres, à partir desquels ressortent des idées forces, des observations, des propositions. Le Tome II restitue plus fidèlement les paroles recueillies auprès des enfants, des dessins et lettres. Certains ont partagé leurs propos mais n’ont pas souhaité qu’ils soient repris dans le rapport. Les enfants ont évoqué leurs réalités, montré leur chambre et les objets auxquels ils sont attachés. Les plus petits ont fait parler leurs doudous. Des moments de vie quotidienne ont été partagés avec les enfants : repas, activités, loisirs, promenades, visites. Une protection de l’enfance contrastée Les paroles des enfants mettent en évidence des moments heureux qu’ils vivent et partagent bien que séparés de leur famille et en dépit de leur histoire familiale douloureuse. De nombreux professionnels engagés ont été rencontrés, dont l’action et la qualité de l’accompagnement qu’ils assurent méritent d’être saluées et reconnues. Cependant, un certain nombre de propos d’enfants et de jeunes majeurs mettent en lumière des situations et des dysfonctionnements inacceptables dans le cadre de leur protection, leurs besoins et leurs droits fondamentaux étant loin d’être satisfaits et respectés. Ils peuvent être confrontés à des situations de danger alors même qu’ils sont censés être protégés : violences institutionnelles, violences entre pairs, harcèlement, réponses inadaptées à leurs besoins, prostitution… Les traumatismes subis avant leur protection, et parfois durant leur protection supposent qu’ils se sentent sécurisé. Le temps de la nuit doit être considéré comme étant aussi important que le temps du jour, si ce n’est plus important. Il n’est plus possible de permettre à des personnels non formés d’assurer la surveillance durant la nuit qui est loin d’être anodine. De même les « sanctions éducatives » doivent être proscrites, telles celles infligées lors des retours de fugue. Les enfants vivent mal le fait de se sentir stigmatisés, à l’école par exemple lorsqu’ils sont identifiés comme « enfants de l’ase » parce que les véhicules de transport qui les accompagnent l’indiquent, ou quand il s’agit de leur famille, ou encore quand ils se déplacent « en meute ». Ce ressenti est une atteinte profonde à leur image, à leur identité. D’autres témoignent du sentiment d’injustice qu’ils ressentent du fait d’un traitement inéquitable, ce à quoi ils sont particulièrement sensibles. La plupart déplorent d’être insuffisamment associés aux décisions qui les concernent, notamment à propos de leur scolarité ou les relations avec leur famille, leur avis étant peu pris en compte. Dans le cadre de la politique publique de protection de l’enfance, les différents acteurs auraient pourtant tout intérêt à adapter leurs réponses aux besoins des enfants pour les apaiser, pour les sécuriser, pour atténuer leurs troubles du comportement, et éviter ainsi le recours systématique à des réponses sanitaires qui, a fortiori, sont de moins en moins accessibles. Ces constats ne peuvent que conforter dans l’idée que ce sont les lieux d’accueil qui doivent s’adapter aux enfants et non à ceux-ci d’adapter leurs problématiques aux dispositifs. C’est là tout le sens de la protection. Les préserver du danger et veiller à ce que leur développement soit le meilleur possible, à ce qu’ils grandissent en s’épanouissant, à ce que leur présent ressemble à celui des autres enfants qui vont bien, et que leur avenir soit prometteur. Il s’agit de prendre soin de chaque enfant, de l’appréhender à l’aune de la définition de la santé portée par l’Organisation Mondiale de la Santé, qui englobe tous les aspects de la vie quotidienne des enfants. L’ensemble des politiques publiques qui y contribuent, au premier rang desquelles la protection de l’enfance, doivent viser de relever le défi de la coordination. Des réponses pour que les enfants de l’ase soient des enfants comme les autres De nombreuses améliorations peuvent apparaître comme anodines, mais en réalité, elles sont fondamentales. Par exemple, celles concernant les assistants familiaux qui doivent être formés au long cours, moins isolés, faire partie de l’équipe éducative et reconnus comme partie prenante de la protection de l’enfance. Le rôle des maîtres et maîtresses de maison devrait être revalorisé et faire partie intégrante de l’équipe éducative parce qu’ils apportent une plus-value incontestable à la qualité de l’accompagnement des enfants. Ou encore, les conditions de l’exercice des métiers de protection de l’enfance doivent être améliorées par une adaptation des moyens humains aux besoins des enfants, elles doivent être sécurisantes et valorisantes. Prendre soin des enfants c’est prendre soin en premier lieu des professionnels pour qu’ils soient en mesure de bien-traiter les enfants et de dégager un senti[1]ment de bien-être. Les questions relatives à l’affectivité et à la sexualité des enfants doivent être concrètement abordées par les professionnels qui les accompagnent au quotidien, et pour qu’ils ne soient plus tentés de les éviter, leur formation à cet égard doit être renforcée. Enfin l’accès à la culture et aux loisirs doit devenir un des objectifs majeurs de la mission éducative, non seulement parce que les enfants peuvent y trouver des sources d’épanouissement et de bien-être, mais aussi des effets positifs comme la valorisation de leur image et l’estime de soi dont ils ont tant besoin.
Par ailleurs, écrire cet éditorial est une occasion de partager avec les lecteurs une interrogation à propos des troubles du comportement et de la place de la psychiatrie. Juriste de formation, je ne peux seulement que vous restituer des faits constatés. Alors que certains adolescents qui bénéficiaient de réponses sanitaires, n’allaient pas « bien », d’autres désignés – affreusement – comme « cas complexes », accueillis dans des petites unités de vie avec notamment une permanence éducative la nuit, allaient relativement bien. Ce qui m’amène à poser la question de l’’institutionnalisation de l’enfance : n’est-elle pas de nature à accentuer ces troubles ? La désinstitutionnaliser ne serait-il pas le premier des remèdes ? Quels sont ces « troubles du comportement » ? Ces troubles sont-ils « anormaux », doivent-ils nécessairement relever d’une prise en charge médicalisée ? Dans l’imaginaire des professionnels, le « pédopsy » semble être la réponse la plus adaptée, l’est-elle ? Bien situer le rôle et le cadre d’intervention du pédopsychiatre en protection de l’enfance semble être une urgence. Le rôle du psychiatre ne serait-il pas d’abord de rassurer et d’accompagner une équipe éducative, de l’aider à identifier et gérer ces troubles en laissant l’enfant à distance de la psychiatrie plutôt que de l’imposer à l’enfant ? Le médecin traitant, l’infirmier ou encore le psychologue ne devraient-ils pas être mieux mobilisés ? Une meilleure considération de l’enfant, de la bienveillance, de l’affection, des paroles encourageantes ne seraient-elles pas de nature à mieux prévenir, accompagner et adoucir ces troubles
Gautier Arnaud-Melchiorre, étudiant en droit de la santé
1. Le rapport est consultable sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé : https://solidarites-sante. gouv.fr/IMG/pdf/rapport_a_h_auteur_ d_enfant_agm_04012022.pdf